• Icon of French Cinema débarque ce jeudi sur Arte.tv et le 28 décembre sur la chaîne. Une série de six courts épisodes de trente minutes, écrite et réalisée par Judith Godrèche, inspirée de sa vie.
  • L’actrice se replonge notamment à ses débuts au cinéma, à l’âge de 14 ans, et évoque sa relation avec un réalisateur 3 fois plus âgé qu’elle. « J’ai fait de nombreuses analyses, mais dans le fond, je ne me suis jamais considérée comme un sujet », explique-t-elle.
  • « En voyant ma fille [Tess Barthélémy, qui joue aussi dans la série] et en pensant à ce qu’elle pourrait vivre, ça a nourri un désir d’écrire et de raconter l’histoire de ma jeunesse dans le cinéma français », ajoute Judith Godrèche.

« Pourquoi tu m’as laissée partir avec un homme de 40 ans ? » Cette question, cruciale, Judith Godrèche l’assène à sa mère de fiction dans l’un des épisodes d’Icon of French Cinema, disponible ce jeudi sur Arte.tv. Une série de six courts épisodes de trente minutes, écrite et réalisée par l’actrice et inspirée de sa vie. Une autofiction décalée, drôle et truffée d’autodérision, dans laquelle la réalisatrice malmène avec délice son personnage, se moque de son statut d’actrice et de cette image d’intello évaporée et un peu mièvre qui lui colle à la peau.

Mais c’est aussi le récit d’une adolescence bafouée et de blessures du passé. Une histoire personnelle à laquelle Judith Godrèche se confronte à travers la fiction : celle de ses débuts et de sa relation avec un réalisateur de 25 ans son aîné. Avec cette question, donc, qui plane comme une ombre au-dessus de la série : comment une jeune fille de 14 ans a-t-elle pu devenir l’amante d’un homme de 40 ans, sans qu’à l’époque ne sourcillent ni sa famille ni le petit milieu du cinéma des années 1980 ?

Une poupée baladée dans un monde d’adultes

Icon of French Cinema commence par le retour de cette « icône du cinéma français » à Paris. Après dix ans d’exil à Los Angeles avec ses deux enfants, l’actrice fait son come-back en France où elle décroche le rôle principal d’un film. Excitée par ce nouveau départ, Judith Godrèche déchante très vite. Rien ne se passe comme prévu, l’actrice perd le rôle promis (qu’on offre à Juliette Binoche, avec qui on la confond souvent) et va devoir se démener pour le récupérer. Jusqu’à participer à une émission de télé en costume géant de hamster pour s’attirer la sympathie du grand public…

En parallèle, se joue un tout autre drame. Sa fille de 16 ans (Tess Barthélémy, sa véritable fille dans la vie), s’entiche de son professeur de danse, beaucoup plus âgé qu’elle. Une idylle qui ravive les douleurs de sa propre adolescence… Parsemée de flash blacks, la série nous propulse par touches régulières à la fin des années 1980, au début de la carrière de Judith Godrèche, âgée de 14 ans à peine. On assiste à l’un de ses tout premiers castings où Eric, un réalisateur quadragénaire joué par Loïc Corbery, tombe subjugué devant elle. Sur le tournage, le cinéaste multiplie les prises avec la jeune fille (incarnée à l’écran par Alma Struve), comme cette scène d’un malaise absolu où l’actrice, à moitié nue au milieu d’un plateau de tournage bondé, doit l’embrasser encore et encore.

La petite Judith devient son amante, qu’il balade et expose comme une poupée dans son monde d’adultes. Une scène marque tout particulièrement : seule enfant parmi les convives d’un dîner huppé, la jeune actrice enchaîne les verres de vin dont l’abreuve le réalisateur. Ivre, elle finit par s’effondrer.

« Il y a tous les fantômes de Judith »

S’il n’est jamais nommé dans la série, l’histoire n’est pas sans évoquer la relation de Judith Godrèche avec le réalisateur Benoît Jacquot à la fin des années 1980. Plus de vingt ans séparaient les deux amants. « Ma jeunesse dans le cinéma français, je n’en ai jamais vraiment parlé. J’ai fait de nombreuses analyses, mais dans le fond, je ne me suis jamais considérée comme un sujet », a expliqué l’actrice lors d’une conférence de presse. « C’est compliqué le rapport à l’art quand on est l’objet de l’artiste, quand on est utilisé par lui, poursuit-elle. A une époque, les jeunes filles étaient considérées comme des objets et c’est une chose que je n’avais jamais formulée. » Toxicité, relations d’emprise, sexualisation du corps de la femme, zone grise et absence de demande de consentement sur les plateaux de tournage… Les épisodes de la série abordent avec intelligence et un humour certain, de nombreuses problématiques dénoncées par le mouvement #MeToo depuis plusieurs années. Ils mettent aussi en exergue la toute-puissance des hommes, véritables démiurges, sur les plateaux de cinéma.

« Il y a tous les fantômes de Judith parce que ce personnage est un amalgame de tous ces créateurs/créatures qu’elle a pu croiser, estime le comédien Loïc Corbery. Moi j’en ai rencontré tellement au théâtre et sur les plateaux de cinéma. Encore aujourd’hui, les metteurs en scène où on se dit qu’ils dérapent humainement, il y en a encore beaucoup. Il y a un côté exutoire de se foutre joyeusement ou gravement de ces réalisateurs. A côté de ça, ce sont aussi des gens qui sont de grands artistes. Leur art n’explique pas tout, il a pu l’excuser à une époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

« Je vivais dans une société complice »

Dans certains épisodes, Judith Godrèche confronte aussi ses parents, incarnés à l’écran par Ludmila Mikaël et Didier Sandre. Elle tente de comprendre pourquoi ils l’ont laissée partir avec cet homme, donnant leur accord pour son émancipation légale. Un règlement de comptes en série ? « Je ne porte pas de jugements, conteste l’actrice. C’est mon histoire, pour des raisons qui sont propres à chacun, j’ai été émancipée. C’est difficile de parler de ce monde-là en isolant des personnages pour dire « lui, il aurait dû faire ça, elle, ceci ». »

L’actrice utilise la fiction pour établir un constat et en tirer des enseignements. « Dans le fond, je vivais dans une société complice. Quand je faisais 35 prises d’une scène où j’étais torse nue et j’embrassais un homme plus âgé, personne ne m’a demandé si je voulais arrêter ou si j’en avais marre. Il n’y a pas eu un adulte, de toute ma jeunesse, qui m’a tendu la main pour me demander comment j’allais. C’était le monde dans lequel je vivais. C’est mon histoire et elle est comme ça. Maintenant ce qui est intéressant, c’est de faire en sorte que les choses évoluent », estime l’actrice.

Le comédien Loïc Corbery ajoute : « Ce que je trouve puissant dans la série, c’est de pouvoir parler de tout ça sans conflit. De pouvoir réfléchir un peu. On a tous été construits dans ce monde-là, avec des choses bonnes et d’autres moins bonnes. Comment regarde-t-on ça en face et essaye-t-on d’avancer ? Dans la série il n’y a pas de règlement de comptes, il y a une réflexion commune avec des confrontations parfois, des prises de conscience des uns et des autres ».

« Quand on imagine que c’est sa mère, ça fait un peu bizarre »

Ce passé et cette expérience, Judith Godrèche les partagent aujourd’hui pour sa fille. « Elle est presque la raison de cette série », estime-t-elle. Elle explique : « Ce qui m’intéresse n’est pas de parler de moi mais de ce que représente être une jeune fille dans le monde du travail. Dans le fond, ce rapport de pouvoir de celui qui dirige à celle qui est dirigée, il est le même partout. En voyant ma fille et en pensant à ce qu’elle pourrait vivre, ça a nourri un désir d’écrire et de raconter l’histoire de ma jeunesse ».

Un témoignage que Tess Barthélémy, la fille de l’actrice dans la série et dans la réalité, a découvert à travers ce récit de fiction. « Elle m’avait parlé un peu de son enfance mais c’était assez flou. Elle ne m’a jamais laissé voir ses films, je n’en ai vu aucun « , précise-t-elle. Elle ajoute : « C’est dur de se confronter au fait que ses parents ont vécu des choses dures ou de la souffrance. C’est compliqué. Voir une fille de 14 ans avec un corps et un esprit de 14 ans, jouer avec un adulte, ça fait quelque chose. Quand on imagine que c’est sa mère, ça fait un peu bizarre. » Le cinéma français, lui, ouvrira-t-il les yeux ?

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